A lire

Le temps s'écoule inexorablement, de nombreux nuages s'accumulent au-dessus de ma tête ; à n'en pas douter mes camarades sont épargnés, leurs stylos dessinent à des débits différents de somptueuses littératures.

Eau tarie, eau vide, ou eau céans, allez avoir...
Hors sujet [concours]
Ce texte est une participation au concours nº 8 : Les brèves d'eau (informations sur ce concours).
9 h 30, plus qu'une heure pour achever cette rédaction sur « l'eau dans tous ses états ».
Encore faudrait-il avoir commencé ! Mais rien, je suis sec.
Toute source tarie.
Pas un mot ne suinte.
Pourtant c'est un joli thème et j'ai toujours aimé l'eau.
Pourquoi pas un mélo justement ? La prof circule dans les allées, arpente les méandres de nos pensées dissociées en jetant un œil de temps à autre sur nos copies, amusé, tendre parfois, indifférent et saturé souvent, et parcourt ma page au pas de course comme on traverserait la banquise pour plonger et nager vers des mers plus clémentes.
Je pose mentalement des images : îles et cocotiers, fleuves rugissants, montagnes empoudrées, larmes surgissantes et toutes s'en vont instantanément, s'évaporant.
Dehors, il pleut à seaux et alors,voyance pas de quoi en faire un roman aquatique ! Mon œil suit la gouttière dégoulinante.
Comment ce monde peut-il produire autant de liquide sans même songer à irriguer ma feuille un tant soit peu ? Sentiment d'injustice.
Où veut-elle que je trouve de l'eau dans un tel désert ? Me faudra-t-il user de mauvais jeux de mots dans l'espoir d'au moins la faire sourire ? Creuse-toi la cervelle imbécile à défaut de forer un puits.
C'est pourtant pas sourcier !
Le temps s'écoule inexorablement, de nombreux nuages s'accumulent au-dessus de ma tête ; à n'en pas douter mes camarades sont épargnés, leurs stylos dessinent à des débits différents de somptueuses littératures.
Jean, deux vagues devant, a sûrement embarqué sur un navire de pirates ; que ne le suis-je pour ravager un peu leurs idées ? Mon patronyme a de fortes consonances vikings ; j'enfourche mon drakkar qui sombre irrémédiablement dès la sortie du fjord.
Clothilde, ma douce Clothide, prend un bain, féerie nasride, dans un bassin à la surface nappée de pétales de rose.
Et je sais déjà qu'il n'est pas temps de trop penser à elle.
Gros temps, il fait pour moi justement ; jusqu'à la syntaxe qui se liquéfie.
Ça sent la noyade, et si je compte sur Madame Dugouyt pour me repêcher autant me mettre en quête du grand requin blanc.
Elle n'est pas méchante prof, plutôt jolie, et ça ne me laisse pas indifférent.
Mais son faible va aux élèves doués et pleins d'imagination.
L'eau... dans tous ses états.
Comment voulez-vous en faire un tas ? Pas même sûr que celui-là puisse lui décrocher un rire en cascade.
Je veux lui plaire, je veux leur plaire... Alors plonge, fut-ce dans un marigot, mais jette-toi à l'eau ! Et pourquoi m'invectiver inutilement, et plus encore en postillonnant ? Pensez-vous sérieusement ainsi ouvrir les vannes d'un barrage au lac depuis bien longtemps asséché ?
L'aiguille des heures a franchi le méridien de Greenwich, plus que trente minutes : ma clepsydre est infaillible.
J'ai juste écrit « l'eau-de-là », j'ai dû pomper ça ailleurs, ce n'est pas très correct, alors je gomme.
Nouvelle chute de neige sur ma copie, blizzard désespérant.
Marre des images à la noix, mare où je me noie.
Clothilde, accueille-moi dans ton bain, réchauffe-moi.
Un œil sur elle : ses cheveux de sirène flottent au gré du courant qu'elle impose à son propre récit, horoscope 2011 et ce n'est pas pour moi.
Étonnamment, cette douce vision inaccessible semble enfin provoquer l'avalanche tant attendue.
Il me reste largement le temps d'équarrir quelques gros icebergs, de chevaucher un tsunami, ou de me transformer en gouttelette haletante, suspendue à un robinet et redoutant une chute funeste.
Je peux encore chanter sous la pluie, sans gêne ; quelle littérature ! Je brasserai les nuages à les étouffer et en extraire la plus petite particule.
Je renonce à être cette grosse pastèque déshydratée.
C'est un flot sans fin qui s'annonce.
L'eau coule en abondance, charriant glaçons et vapeurs naissantes. Ça bout là-dedans.
Et pour la première fois, mon stylo s'apprête à dévaler la page, libérant un liquide noir qui ira s'éclaircissant...
10 h 29, la prof ramasse les copies... Et ce n'est qu'en la devinant près de moi que roule le long de ma joue une grosse larme qui s'abat pitoyablement sur un feuillet resté vierge.
De l'eau, dans tous ses états, c'est tout ce qu'elle aura.
Et pourtant, elle vient tellement de moi.

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